L’improbable photo des présidents de l’OM et du PSG qui n’était pas générée par l’IA


Nasser Al-Khelaïfi, président du Paris Saint-Germain, et Pablo Longoria, président de l’Olympique de Marseille, lors du match de Ligue 1 Uber Eats, au Parc des Princes, le 24 septembre.

Imagine-t-on deux présidents de clubs sportifs rivaux faire ça ? A gauche, Nasser Al-Khelaïfi, big boss du Paris Saint-Germain, grand sourire ravi. A droite, regard doux et soumis, son homologue marseillais Pablo Longoria, penché contre le buste du dirigeant qatari.

Le 27 septembre, trois jours après la déculottée de l’OM face au PSG (4-0), l’image a abondamment circulé parmi les supporters de football. Nombreux sont ceux qui ont craint de se faire pigeonner. N’était-ce pas là une image « fake » (artificielle), signée d’une intelligence artificielle ? A l’ère de l’IA, nous voilà tous sommés de raisonner comme des journalistes.

Chimères photoréalistes

On le sait désormais depuis l’éclosion au printemps de MidJourney, un algorithme capable de créer une image fictive à partir de banques de photos en ligne, rien n’est aujourd’hui plus simple que de donner une forme photoréaliste à nos chimères les plus folles.

N’a-t-on pas vu des pseudo-moments d’idylle entre Joe Biden et Donald Trump, ici dans une partie de golf imaginaire, dans une bataille de polochon fabuleuse ? Rien, ou si peu, dans le grain des images, ne permettait d’en inférer la fausseté, à part l’absence totale de source sérieuse, et leur frappante invraisemblance.

N’en est-il pas de même ici ? Il y a quelque chose d’intuitivement faux dans ce câlin entre Nasser Al-Khelaïfi et Pablo Longoria. Quiconque suit la Ligue 1 d’assez près perçoit bien l’impardonnable faute que constituerait pour les deux présidents rivaux l’affichage public d’une forme de proximité. Alors, de nombreux internautes ont cherché l’indice d’une supercherie.

Traquer les incohérences

Le premier réflexe est de compter les doigts d’Al-Khelaïfi. Sont-ils bien cinq ? Longtemps l’IA trébuchait sur l’anatomie digitale. Déception teintée d’inquiétude : ils sont bien cinq. Puis, on cherche d’autres détails, logos incohérents, vêtements à la coupe improbable ou téléphones au design absurde. Mais non, aucune petite subtilité visuelle ne vient trahir les habituelles improvisations de l’algorithme.

Rien, à part l’incongruité du regard vide de Pablo Longoria. Un petit air de vallée de l’étrange, cette théorie du roboticien japonais Masahiro Mori qui veut que plus un humain artificiel est ressemblant, plus une incohérence, aussi minime soit-elle, nous semble dérangeante. Sauf que la photographie est authentique.

Signée de David Niviere, elle a été prise lors du PSG-OM du 24 septembre, et publiée sur le site de l’agence Icon Sport. D’autres clichés pris sous un autre angle, mis en ligne sur la plate-forme Getty images, confirment l’accolade. L’auteur de ces dernières, Xavier Laine, précise sur X que la prise de vue a toutefois eu lieu lors de l’avant-match. L’honneur marseillais est sauf : Pablo Longoria ignorait alors tout de la déculottée qu’allait subir son équipe lors de ce « classico ».

Un continuum épuisant entre le vrai et le faux

Malgré tout, le cliché laisse la désagréable impression d’une image trop louche pour être fiable. En cause, le contexte général d’explosion des intelligences artificielles génératives, et leur corollaire, la déréalisation du médium photographique. C’est là la matérialisation d’une des craintes des observateurs de l’IA. Son principal danger n’est pas que de tromper l’œil humain en faisant passer le faux pour du vrai (après tout, la retouche d’images existait déjà du temps de Staline), mais aussi de faire passer le vrai pour du faux.

En cela, elle bouleverse notre rapport aux images authentiques. D’une part, la menace de l’IA impose la méfiance comme posture de défaut. De l’autre, elle réoriente notre regard vers une attitude hypercritique, comme si, bouée désespérée d’un œil désemparé, la vérité d’un cliché ne reposait plus dans sa cohérence, son grain ou son contexte de publication, mais dans l’étude minutieuse de points de détails aussi futiles que le nombre de doigts.

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C’est le début de nœuds de cerveaux sans fin. Sur l’une des photographies de Getty images prise au même moment, Nasser Al-Khelaïfi n’a semble-t-il que trois doigts. Le doute naît. Les deux autres sont en fait dans l’ombre. A l’ère de l’IA, il n’y a plus de photographies vraies ou fausses, mais un continuum perturbant, épuisant, où la frontière entre l’authentique et l’artificiel se perdent dans le gris des aberrations algorithmiques et des effets d’optique, qui, parfois, produisent exactement les mêmes bizarreries.

C’est le premier contre-effet de la démocratisation de l’intelligence artificielle : nous ne nous ferons plus jamais confiance. A cet égard, l’IA fait aussi courir un redoutable risque de désensibilisation du public. Qu’en sera-t-il, demain, quand il ne s’agira plus seulement d’un simple cliché de football, mais d’une photo de catastrophe naturelle, de guerre, de drame humain ?



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Catégorie article Politique

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